Par une forêt obscure
EAN13
9791093606330
Éditeur
Éditions de L'Ogre
Date de publication
Collection
L'OGRE
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Par une forêt obscure

Éditions de L'Ogre

L'Ogre

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« Écraser au revers des feuilles frisées, vert bouteille, des plants de pommes
de terre, les plaques jaune safran qu’y déposent les doryphores en tenue
camouflée, rayée de kaki, et se salir les doigts au jus collant de leurs œufs
en suave omelette. Pourchasser au soir tombant les hannetons patauds : ils
lancent d’un buisson l’autre la basse bruyante de leur moteur. Rouler et te
rouler dans la prairie qui moutonne en pente vers le ru. Jeter soudain un
corps fourmillant de sèves dans la terre tout juste bêchée du potager, te
retourner face au ciel, fermer les yeux tant la lumière est forte, appuyer ton
dos contre l’axe du monde et éprouver en chaque fibre la sensation enivrante
qu’il tourne sans à-coups et t’entraîne sur sa puissante machine pour un
manège éternel. Dans la cour, l’eau usée venue de l’évier coule librement là
où s’interrompt le tuyau de plomb qui passe sous la croûte durcie par le
piétinement des gens et des bêtes. Avant de se perdre en contrebas dans le
jardin, au-delà du mur d’un demi-mètre de haut seulement et presque autant de
large sous lequel elle s’échappe par un trou, elle imbibe en profondeur ce
coin fangeux où ne poussent guère, entre les déjections de la volaille, que du
plantain rabougri et le pissenlit increvable. Avec quelle joie tu patauges
dans cette sanie, t’escrimant à l’aide d’un bâton à déloger les lombrics qui
pullulent dans le sol gras et que viennent engloutir les canards ! Une fois la
semaine Grand-mère va aux commissions dans les trois épiceries où il n’y a
plus rien, dit-elle, et qui sur l’arrière font bistrot. Elle s’attarde avec
les commères : « Tu sais comme j’aime blaguer, ne t’inquiète pas, quelquefois
elles me tiennent la jambe, à Alger j’appelais ça des charrettes ! » Seul, à
la garde du chien, tu possèdes alors le lieu, tu possèdes toute la terre. »
Maurice Mourier est poète, romancier, et critique à la Quinzaine littéraire.
Il a notamment publié Le Miroir mité (Gallimard, 1972), Golilande ou Journal
d’un Mort (Gallimard, 1974), Parcs de Mémoire(Denoël, 1985), et, plus
récemment, Dans la maison qui recule aux Editions de l'Ogre.
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